| Nietzsche affirme avec insistance qu'il se distingue parmi les philosophes par un sens particulierement aigu de la verite. Nous avons voulu prendre au serieux cette proposition en apparence paradoxale, afin d'en evaluer le sens et la portee. Nous soutenons ici qu'elle va de pair avec la revendication d'une vertu propre, pour lui sans precedent dans la tradition judeo-chretienne, et dont il ecrit qu'elle constituera peut-etre son legs philosophique le plus important: la probite (Redlichkeit). Notre propos est de presenter une lecture systematique de Nietzsche en tant que le philosophe de cette "nouvelle" vertu.;Ensuite, en aval, nous avons confronte l'oeuvre nietzscheenne a son propre imperatif de probite. D'une part, il nous a alors semble qu'elle etait difficilement conciliable avec ce qu'on pourrait appeler la dimension "metaphysique" ou "idealiste" de sa philosophie (principalement la "doctrine de Zarathoustra", fondee sur les idees du "surhomme" et de l'eternel retour). En ce sens, une lecon importante d' Ainsi parlait Zarathoustra nous a paru etre la "mauvaise conscience" de Nietzsche-Zarathoustra, resultant de cette tension entre la probite et le projet de reforme ethique place sous le signe du "surhumain". D'autre part, il nous a aussi semble que, parallelement a la "doctrine de Zarathoustra", se dessinait dans l'oeuvre nietzscheenne un autre chemin de pensee, plus rigoureusement soumis a l'exigence de probite, la portant a ses limites en quelque sorte, et dont le dernier mot ne se situait plus du cote d'un projet idealiste de reforme ethique et culturelle, d'un "depassement" de l'homme, mais plutot du cote d'une sagesse a la mesure de la culture de l'homme du present: l'amor fati. Ainsi, la pensee nietzscheenne s'averera traversee d'une tension fondamentale, resultant de la coexistence en Nietzsche de deux gestes philosophiques irreductibles, et aboutissant a deux figures de la sagesse, ou, en termes nietzscheens, de l'affirmation. Seul l'amor fati nous a toutefois semble en accord avec l'imperatif de probite.;Pour mesurer la difference qui separe la probite nietzscheenne de cette autre vertu plus classique dont elle doit prendre la releve aux yeux de Nietzsche, la veracite, nous nous sommes d'abord penches, en amont et a la lumiere de sa propre pensee, sur ses origines. Nous avons tente de montrer en quoi elle decoule de ce qu'on peut appeler, en termes nietzscheens, la culture "idealiste" platonico-chretienne, dans la mesure ou elle est issue de la "mauvaise conscience" qui caracterise cette culture depuis la determination de son espace intellectuel par le "pretre", cette figure centrale de la critique nietzscheenne. Plus specifiquement, selon Nietzsche la probite est l'heritiere de la veracite developpee par la tradition chretienne (et socratique d'une certaine facon) de l'examen de conscience, transformant sa double exigence de verite et de sincerite dans le sens d'une exigence d'authenticite. |