Geopolitique de la culture et de la production: Le cas des ouvriers ruraux des maquiladoras au Yucatan, Mexique, 1995--2001 (French text)

Cette these se veut exploratoire beaucoup plus qu'elle n'apporte de reponses. Elle est le fruit d'un desir de repenser les effets de l'offre d'emploi dans les industries maquiladoras au Yucatan rural en dehors des cadres traditionnels de la recherche. Elle privilegie un cadre interpretatif communicationnel a l'interieur duquel les divers groupes d'interet reagissent constamment a la proposition de l'Etat mexicain (et yucateque) de joindre les marches mondiaux de production et d'adherer a sa vision du "progres". Ce grand dialogue unit des groupes d'acteurs tres differents entre eux pour la premiere fois sur le territoire du Yucatan rural (region ex-henequeniere): c'est a l'echelle des communautes rurales que nous etudions la maniere dans laquelle certains effets de la politique de la mondialisation sont vecus. Le developpement de l'argumentation de cette these est oriente de maniere a repondre, en bout de ligne, a la question suivante: Pourquoi les travailleurs ruraux des industries maquiladoras du Yucatan ne se syndicalisent pas et ne defendent pas leurs droits a de meilleures conditions de travail?; Tout au long de notre etude, nous nous attardons sur les strategies de reponses ouvrieres et communautaires elaborees face a la nouvelle offre de travail: l'analyse de contenu des discours recueillis aupres des groupes de travailleurs de l'industrie maquiladora examinent ces reponses en termes de receptivite, d'action et d'attitude au travail. Loin d'etre soumis et passifs comme certains le supposent, les ouvriers ruraux affichent une strategie de "collaboration sans engagement", relevant davantage de l'accommodation que de l'acculturation. De maniere surprenante, la riposte des entrepreneurs est obligatoirement orientee vers la naturalisation de leur gestion du travail et des ressources humaines verrions-nous se developper une relation symbiotique entre des acteurs forces de collaborer entre eux?; Et pourtant, certains enseignements que la maquiladora nous apporte revelent que ces rapports au travail ne sont qu'une partie des enjeux politiques qu'ils representent. Inevitablement, la relation culture-travail-territoire enferme des outils pervers de domination: Quels sont les enjeux reels de cette mise au travail par la maquiladora et de ce dialogue force? Ils sont multiples. Pour le nouveau President de la nation, l'enjeu est la mexicanisation des populations rurales eparpillees sur le territoire et leur incorporation a l'economie nationale; pour les elites locales, il est de contenir les masses dans un etat de gouvernabilite; pour les populations metisses et indigenes, l'enjeu semble etre dans la continuite de l'habitation de leur territoire et parfois dans la reconnaissance d'une autonomie culturelle. Pour les politiciens et les intellectuels, il se trouve du cote de la consolidation d'une opposition et de la formulation de projets sociaux. Tous se serviront, chacun a leur maniere, du pretexte de la mondialisation pour viser leurs fins; en bout de ligne, l'enjeu de la lutte, qui se donne sur plusieurs territoires scalaires en meme temps, ne serait-il pas plutot celui de la survivance d'une vision du monde imperiale, relevant de la transcendance, devant la poussee d'une indeniable vague d'immanence qui remonte en surface par l'expression d'un nouveau pouvoir exerce par ceux que l'histoire avait laisses sans voix? A l'aube d'une entente commerciale panamericaine (la ZLEA), cet enjeu ne reflete-t-il pas le malentendu entre Etats et peuple dans les Ameriques? A l'instar d'Habermas, nous renouons avec le projet de la modernite, animee que nous sommes par la croyance qu'il n'a pas donne tout ce qu'il avait a donner et qu'une modernisation culturelle est encore a venir.