L'esthetique de la laideur dans les contes d'Edgar Allan Poe et dans 'Le Spleen de Paris' de Charles Baudelaire

Héritiers des romantiques, tributaires des réalistes et précurseurs des décadents, Edgar Allan Poe et Charles Baudelaire construisent une esthétique de la laideur, fusionnant le grotesque et le sublime, dont le principal agent est la mort tant physique qu'intellectuelle. Cette laideur peut d'abord se lire comme un échec de la beauté, qui demeure, tant dans Le Spleen de Paris que dans les contes de Poe, un objet de quête. Détachée de toute valeur éthique et morale, la laideur se manifeste dans les objets, les êtres et la structure même des textes à travers deux caractéristiques fondamentales: la finitude, qui comprend l'organique, le rire, le masque et le macabre, et qui se présente comme un échec de la volition; le dérèglement, qui se reconnaît à l'ivresse, la folie, l'irrégularité et la prolifération, et qui révèle l'absence de savoir occulte. Pourtant, le laid s'émancipe pour n'être plus uniquement un échec de la beauté ou une erreur de goût; un réseau d'archétypes se développe en plus de stratégies textuelles propres à le représenter. La laideur investit en effet tous les niveaux du texte, tant symboliques que structurels, devenant ainsi un système distinct et indépendant: une esthétique, selon les critères développés par Luc Ferry dans Le Sens du Beau. Par leur conception jusqu'alors inédite de la laideur, Poe et Baudelaire inaugurent la modernité littéraire.